La biologie moléculaire a permis d'isoler de nombreuses protéines jouant un rôle important dans le fonctionnement de l'organisme. Toutes ces protéines (homones, enzymes, anticorps, etc...) ont une structure déterminée par un gène spécifique situé quelque part sur la molécule d'ADN. Chaque cellule du corps humain contient des molécules d'ADN et peut donc, en principe, fabriquer n'importe quelle protéine. En fait, une cellule particulière ne fait la synthèse que des protéines nécessaires au fonctionnement de l'organe auquel elle appartient. Les gènes correspondant aux autres protéines ne sont pas "exprimés". Il existe donc dans chaque cellule des mécanismes qui contrôlent l'expression, l'activité des gènes. Depuis près de vingt ans, les chercheurs sont capables de manipuler les gènes
en laboratoire en coupant l'ADN en fragments, qui sont "recombinés" dans une plus petite molécule d'ADN portant le nom d'ADN "recombinant". Lorsque cette molécule d'ADN recombinant est introduite dans une cellule, elle se reproduit à chaque division cellulaire mais ne fabrique pas de protéines. Pour cela il faut lui adjoindre le fragment d'ADN contenant les mécanismes responsables de l'expression du gène. Ces fragments sont actuellement connus et commercialisés. Si l'on souhaite obtenir de grandes quantités de protéines, les fragments d'ADN sont introduits dans des micro-organismes (bactéries). S'il s'agit d'une protéine complexe et de grande taille, ils sont introduits dans des cellules animales en culture.
Actuellement, plusieurs médicaments sont fabriqués de cette façon comme l'insuline, l'hormone de croissance et le vaccin contre l'hépatite B. Dans le domaine de la SEP, cette technique a permis la production en quantités suffisantes de l'interféron-bèta, le premier médicament officiellement reconnu comme ayant un effet favorable sur la maladie. D'autres substances pouvant présenter un intérêt thérapeutique, comme les lymphokines, sont synthétisées selon les mêmes procédés et utilisées pour des recherches en laboratoire. Certaines d'entr'elles sont déjà étudiées en clinique dans sa phase expérimentale préliminaire (Phase I).
Sur le plan pratique, l'inconvénient de ces protéines est qu'elles ne peuvent être administrées par la bouche, car elle seraient détruites par les enzymes du tube digestif. Il faut donc les injecter par voie sous-cutanée, intramusculaire ou parfois intraveineuse. Cependant des recherches sont en cours pour résoudre ces problèmes. Des préparations se libérant très lentement pourraient permettre d'espacer les injections. Des capsules chimiques protègeant les protéines de l'action des enzymes et des substances facilitant leur pénétration à travers les muqueuses puis dans le courant sanguin devraient faciliter l'administration en comprimés.
On sait depuis 1975 qu'après avoir injecté de façon répétée un antigène humain à une souris, il est possible, en prélevant la rate, d'isoler des lymphocytes B, de les mettre en culture, et de récolter dans ce milieu l'anticorps spécifiquement sécrété contre cet antigène. Ces anticorps provenant d'une seule souche (clone) de cellules sont appelés anticorps monoclonaux. Il s'avéra assez vite que les anticorps monoclonaux d'origine animale stimulaient très imparfaitement les systèmes de défense humains et que, étant des protéines étrangères, ils étaient eux-mêmes l'objet d'une réaction immunitaire visant à les éliminer. L'organisme fabrique en effet des anticorps contre cet anticorps d'origine animale, appelés auto-anticorps.
Il est, bien sûr, impossible d'envisager d'hyperimmuniser un être humain avec un antigène contre lequel on souhaite disposer de grandes quantités d'anticorps. D'autre part, les seules cellules B accessibles chez l'homme sont les lymphocytes B circulants qui produisent très peu d'anticorps et sont difficiles à mettre en culture. Dans l'état actuel des choses, une première solution consiste à fabriquer, par génie génétique, un anticorps à partir du gène animal qui l'encode et à ne garder de cet anticorps que la partie "utile". On sait, en effet, qu'un anticorps est composé d'un fragment constant (Fc), assez volumineux qui sert de support et n'a pas de fonction immunitaire, et d'un fragment variable (Fv) plus petit, seul utile et dont la diversité permet de répondre à n'importe quel antigène. Cette partie utile peut être greffée par manipulation génétique sur la partie constante d'un anticorps humain. Le résultat s'appelle un anticorps "chimérique" parce qu'il combine des protéines provenant de deux espèces différentes. Dans la mythologie grecque en effet, la chimère était un monstre composé de plusieurs animaux. On dit aussi que l'anticorps a été "humanisé".
Ce procédé a permis de réduire de moitié la réaction immunitaire dirigée contre l'anticorps lui-même après injection chez l'homme. Une technique plus récente consiste à faire fabriquer des anticorps par des bactériophages, c'est-à-dire des virus en forme de crayon, qui infectent les bactéries. Cette technique, dont il est évidemment impossible de donner les détails, a l'avantage de simuler le fonctionnement normal du système immunitaire chez l'homme. Le phage ayant fabriqué un anticorps peut être comparé à un lymphocyte B au repos contenant le gène de l'anticorps, celui-ci étant exprimé à la surface. Ces phages peuvent donc être sélectionnés grâce à leur faculté de reconnaître l'antigène correspondant et multipliés dans des cultures de bactéries. On peut alors isoler les nombreux gènes et leur faire produire des quantités abondantes d'anticorps (comme le font les plasmocytes) ou les conserver au surgélateur (comme le font les lymphocytes à mémoire).
La technique des phages permet non seulement de fabriquer un anticorps, mais elle permet aussi de faire l'inventaire des innombrables anticorps contenus dans notre sang. On a ainsi constitué des "librairies" d'anticorps humains où il est possible de puiser le gène permettant de fabriquer l'anticorps que l'on désire.
En SEP, les anticorps monoclonaux sont utilisés non seulement pour identifier les diverses variétés de lymphocytes mais aussi pour les neutraliser sélectivement dans un but thérapeutique.
Ces dernières années ont été particulièrement riches en informations concernant les mécanismes immunitaires impliqués dans le SEP et son évolution réelle. Toutes ces données nous permettent de mieux sélectionner les substances susceptibles de freiner sa progression et de mieux structurer nos études cliniques.
La SEP est le résultat d'un déséquilibre du système immunitaire dans lequel il n'est pas toujours évident de savoir s'il est la suite d'une hyperactivité des mécanismes effecteurs (qui l'augmentent) ou d'une insuffisance des mécanismes suppresseurs (qui la freinent). Il est vraisemblable que ces deux pathologies soient présentes de façon alternative en fonction des différents stades d'évolution de la maladie.
On commence à bien connaître les cellules et les médiateurs chimiques impliqués dans cet état d'équilibre entre "frein et accélérateur". Les anticorps monoclonaux ont permis en effet de subdiviser les lymphocytes en de nombreuses variétés dont certaines augmentent l'immunité et d'autres la dépriment. Il en est de même des diverses substances chimiques sécrétées par ces cellules (cytokines) qui ont été identifiées et isolées. De plus, en ce qui concerne les médiateurs chimiques, non seulement il existe des cytokines ayant des effets opposés, mais pour chaque cytokine il existe souvent une forme active, liée à la membrane des cellules, et une forme soluble, dans le sérum, qui a une action antagoniste. Ainsi donc, dans des conditions normales, les mécanismes immunitaires sont verrouillés par de nombreux systèmes qui se surveillent et se neutralisent pour éviter un état d'hyper- ou d'hypoimmunité.
Des études répétées dans le temps de ces divers mécanismes dans la SEP ont montré tout récemment une nette prédominance des cellules et des cytokines qui augmentent l'immunité pendant les poussées et, au contraire, une prédominance des facteurs dépresseurs pendant les périodes de rémission. Ces travaux nous ont également appris que les mécanismes immunitaires impliqués dans l'évolution de la SEP sont plus complexes que ceux observés dans l'EAE, son modèle expérimental. De plus, au cours de la progression de la maladie, il deviennent de plus en plus complexes, impliquant des circuits plus nombreux, dirigeant les lymphocytes vers des composants de la myéline plus nombreux et reconnaissant davantage de segments (épitopes) de la PBM.
Ces notions ont une incidence sur le choix et l'application de nouvelles thérapeutiques. Etant donné que la pathologie immunitaire est moins complexe, plus restrictive au début de la maladie, un traitement précoce a plus de chance d'être efficace. D'autre part, étant donné la complexité des mécanismes impliqués dès le départ et qui ne fait que croître avec le temps, des substances exerçant une immunosuppression assez large ont plus de chance de réussir que des traitements ultraspécifiques.
Une notion importante enfin est que la SEP est une maladie dite "systémique", c'est-à-dire impliquant non seulement des mécanismes pathologiques au niveau du SNC, mais également et surtout au niveau du système immunitaire périphérique, c'est-à-dire des lymphocytes circulants et des organes lymphoïdes. Ceci nous permet d'espérer influencer l'évolution des lésions cérébrales de façon indirecte en réduisant le nombre de cellules pathologiques capables de pénétrer dans le SNC lorsqu'elles se trouvent encore dans le sang.
Les examens en IRM ont confirmé ce que les études au microscope nous avaient appris, à savoir qu'une poussée est la conséquence d'une plaque, c'est-à-dire d'une lésion inflammatoire aiguë du SNC bien localisée, associée à une perméabilité anormale des capillaires cérébraux. L'IRM nous a également appris que l'évolutivité réelle de la SEP est de loin plus importante que ce que la clinique ne pourrait laisser croire. Il est donc indispensable, si l'on veut l'influencer, d'instaurer un traitement continu et de longue durée.
Par contre, la progression du handicap, qui est le facteur clinique le plus gênant pour le patient résulte d'une perte progressive des prolongements nerveux (axones) se traduisant sur l'IRM par une augmentation de volume des lésions dites en T2 et par une atrophie du tissu nerveux, notamment au niveau de la moelle épinière. Cette perte axonale peut également être mise en évidence sur des images obtenues par une technique particulière dite "transfert de magnétisation". Notre connaissance des mécanismes impliqués dans la disparition des axones est très limitée de même que nos possibilités d'intervention. Il est d'expérience courante que la fréquence des poussées répond mieux à nos essais thérapeutiques que la progression du handicap.
L'IRM nous a appris également que dans la forme secondaire progressive, si la phase de progression est associée à des poussées, on observe de nombreuses plaques actives. Celles-ci sont exceptionnelles par contre lorsque la progression n'est pas associée à des poussées. Dans ce dernier cas, la forme secondaire progressive se rapproche de la forme progressive primaire tant sur le plan clinique que de l'IRM et il est vraisemblable qu'elle réagira comme elle, c'est-à-dire moins bien, à nos traitements. Ces notions sont importantes car elles définissent les critères de sélection permettant d'obtenir des groupes de malades, traités et non traités, aussi homogènes et comparables que possible lorsque nous établissons le protocole d'une étude clinique.
Depuis la découverte de la cortisone et de ses dérivés dans les années soixante, ces médicaments sont utilisés pour réduire la durée et les séquelles des poussées. Aux Etats-Unis, on utilise de préférence l'ACTH (adrénocorticotrophic hormone, en français : cortisostimuline), sécrétée par le lobe antérieur de l'hypophyse qui induit la production de cortisone naturelle au niveau du cortex des glandes surrénales. L'inconvénient de l'ACTH est que le taux de cortisone sécrétée après injection d'une même dose varie sensiblement d'une personne à l'autre. La cortisone naturelle appartient au groupe des corticostéroides ayant des propriétés anti-inflammatoires et immunosuppressives. Celles-ci sont mises à profit pour réduire l'inflammation et les réactions hyperimmunitaires présentes, on le sait, au niveau des plaques actives étroitement associées aux poussées. Elle semble également restaurer l'étanchéité des vaisseaux cérébraux, compromise au niveau des foyers d'inflammation. En Europe, on emploie de préférence les corticostéroides de synthèse qui possèdent les mêmes propriétés que la cortisone naturelle et dont les effets sont plus constants d'un malade à l'autre.
Les schémas de traitement des poussées sont nombreux et ne commencent à être quelque peu standardisés que depuis peu. Des études cliniques comparant les résultats obtenus sur les poussées après emploi de divers corticostéroides (cortisone par rapport à l'ACTH) ou suivant des schémas thérapeutiques différents (voie intraveineuse par rapport à l'administration sous forme de comprimés) ont permis de dégager des conclusions pratiques. Certains patients réagissent mieux à la cortisone naturelle sécrétée après
administration d'ACTH, tandis que d'autres sont mieux aidés par la cortisone de synthèse. Il est impossible de prévoir chez un malade particulier lequel de ces deux traitements sera le plus efficace, de même que nous ignorons les raisons de ces réactions différentes. Dans des poussées graves, si le patient ne réagit pas à l'un de ces traitements, il n'est pas exceptionnel d'obtenir de bons résultats avec l'autre.
Il est rapidement apparu que la cortisone pouvait provoquer des complications à long terme et que son emploi devait être limité dans le temps. L'utilisation prolongée de cortisone peut provoquer de nombreuses complications parmi lesquelles : une rétention d'eau (oedème), une perte de potassium (responsable de troubles du rythme cardiaque), une fonte musculaire, une décalcification du squelette, une diminution de la résistance aux infections, des perforations d'ulcères gastriques, de l'hypertension artérielle, la décompensation d'un prédiabète, etc...
Il ne faut pas négliger l'effet euphorisant des corticostéroides pouvant entraîner un phénomène de dépendance. Outre l'amélioration de leur état physique, les patients éprouvent un état de bien-être qui disparait à l'arrêt du traitement. Ils interprètent souvent ce phénomène comme une récidive de leur poussée et demandent à reprendre des corticostéroides. Il faut savoir que le même processus se reproduira dès l'arrêt de la seconde cure et que le risque de ne plus vouloir ou parfois même de ne plus pouvoir interrompre la prise de cortisone devient de plus en plus important.
Des études ont comparé divers schémas thérapeutiques dont il résulte que le traitement le mieux toléré et le plus efficace est l'administration quotidienne par voie veineuse, pendant trois à cinq jours, de doses très élevées (jusqu'à un gramme) de corticostéroides de synthèse (methylprednisolone). Les avis restent partagés sur la nécessité de prolonger ce traitement par la prise à doses dégressives de cortisone en comprimés. Des dosages hormonaux ont montré que ce traitement très bref n'a pas le temps d'arrêter la production d'ACTH au niveau de l'hypophyse et que l'administration subséquente de cortisone pour compenser ce phénomène ne parait donc pas justifiée.
L'utilité des corticostéroides a été longtemps contestée mais des essais cliniques en aveugle et contre placebo ont prouvé que dans l'ensemble ils réduisent la durée et les séquelles immédiates des poussées. Il s'est avéré cependant qu'à long terme, c'est à-dire avec un recul de trois à six mois, l'état neurologique des patients traités et nontraités ne présente pas de différences statistiquement significatives. Ces observations confirment une notion vieille de plus de vingt-cinq ans selon laquelle la prise régulière de cortisone pendant des mois et même des années n'exerce aucune influence favorable sur l'évolution à long terme de la maladie, bien au contraire.
Par contre, il faut rappeler les résultats surprenants d'une étude récente montrant que l'injection de hautes doses intraveineuses de methylprednisolone pendant quelques jours chez des patients présentant une névrite optique comme seul signe clinique semble retarder l'apparition de signes neurologiques ultérieurs et donc de leur conversion en SEP confirmée.
Les traitements symptomatiques ont pour objet de corriger les inconvénients physiques provoqués par une maladie, sans ambition de modifier son évolution. Il n'entre pas dans le cadre de ce livre de revoir en détail les moyens dont dispose la médecine pour soulager les patients qui présentent des symptômes parfois bien pénibles à supporter ou des complications graves, liées à leur maladie. L'atteinte du SNC a en effet des conséquences sur la qualité de certaines fonctions. C'est ainsi que l'atteinte du système moteur entraîne des crampes ou des spasmes non seulement gênants mais souvent douloureux. L'atteinte de la fonction vésicale provoque une rétention des urines facilitant les infections de la vessie et même des reins. Les lésions impliquant les voies de la sensibilité sont responsables
de phénomènes douloureux dont les plus pénibles sont incontestablement les névralgies du trijumeau ou tics douloureux de la face. L'atteinte des muscles de la gorge favorise les fausses déglutitions reponsables d'infections pulmonaires ou d'obstructions dramatiques des voies respiratoires.
La répétition des cures de cortisone au fil des ans fragilise les patients, notamment vis-à-vis des infections et peuvent réveiller une tuberculose qui devient alors foudroyante. Elle entraîne également une décalcification qui favorise les fractures lors du moindre effort ou parfois même spontanées. La décalcification de la colonne vertébrale est reponsable des douleurs lombaires si fréquentes et qui nécessitent parfois l'administration de doses très élevées de calcium par voie veineuse.
Il suffit de dire que bien d'autres symptômes ou complications peuvent également se présenter mais que, presque toujours, la médecine a les moyens de les corriger et de soulager les malades. Dans ce contexte, il faut savoir que l'adage "prévenir vaut mieux que guérir" est particulièrement d'application et qu'il justifie une surveillance régulière des patients. Trop souvent, ceux-ci pensent que la médecine étant impuissante à guérir leur maladie, il est inutile de consulter régulièrement, et qu'il suffit de voir son médecin au moment des poussées, le plus souvent lorsqu'elles tardent à régresser.
Nous devons aux traitements symptomatiques et à une meilleure surveillance des patients, l'amélioration sensible de la qualité et de l'espérance de vie des malades SEP au cours de ces dernières décennies, bien avant que le premier traitement "causal", c'est-à-dire s'attaquant à la maladie elle-même, n'ait été officiellement reconnu par la communauté scientifique internationale.
Un traitement causal attaque par définition la cause d'une maladie pour en supprimer les effets. Dans la SEP, si nous ne connaissons pas la cause précise de la maladie (pour autant qu'elle soit unique, ce qui est peu probable), nous savons que des anomalies du système immunitaire sont impliquées dès le début et les recherches récentes ont permis d'en connaître les mécanismes précis. Il est donc logique de tenter de les corriger à l'aide de substances ou de techniques agissant sur l'immunité.
S'il est possible à l'origine qu'une déficience immunitaire transitoire permette à la branche effectrice de l'immunité (accélérateur) d'échapper aux mécanismes de contrôle (frein) et de s'exprimer de façon excessive, il semble bien que, par la suite, cet état d'hyperimmunité devient la pathologie majeure. Les traitements utilisés en premier lieu ont donc tenté de corriger cette situation à l'aide d' "immunosuppresseurs". A l'origine, les immunosuppresseurs sont des substances mises au point pour détruire les cellules cancéreuses dont la caractéristique est de se multiplier de façon anarchique. Chaque multiplication implique la duplication d'une molécule d'ADN et les agents anticancéreux interfèrent précisément avec les mécanismes complexes intervenant dans cette duplication. Ils inhibent la synthèse de certaines bases (guanine et purine notamment) servant à la fabrication des nucléotides constitutifs de l'ADN. De ce fait, ils brisent les brins, les montants de l'échelle de l'ADN, ce qui peut entraîner des mutations responsables de l'action cancérigène ou tératogène (malformations congénitales) de certains d'entr'eux.
Il s'avère que ces agents paralysent également celle des cellules de l'organisme qui se renouvellent rapidement, c'est-à-dire la moelle osseuse qui fabrique les éléments du sang, les cellules des organes de reproduction (ovocytes et spermatozoïdes) et celles tapissant le tube digestif. Ce phénomène est à la base des effets secondaires qui limitent les doses et donc l'efficacité des agents anticancéreux : anémie et réduction du nombre de globules blancs, troubles digestifs, stérilité, etc... Par contre, en freinant la multiplication des globules blancs, en particulier des lymphocytes responsables de l'immunité, ces agents anticancéreux ont également un effet immunosuppresseur. Ces propriétés furent découvertes par hasard, au début des années cinquante, pour une substance appelée captopurine, utilisée au départ dans la leucémie. On s'aperçut assez rapidement qu'elle empêchait également la synthèse des anticorps (sécrétés par les lymphocytes B) et diminuait ainsi le rejet des greffes de tissus. La mise au point de substances de plus en plus performantes fut à la base de progrès considérables de la transplantation d'organes.
Leur utilisation dans les maladies auto-immunitaires telles que la polyarthrite chronique évolutive ou le lupus erythémateux ainsi que dans la SEP fut plus tardive et date des années soixante. A cette époque, les études cliniques ne concernaient qu'un nombre limité de patients, le plus souvent à un stade avancé de la maladie, par peur des complications possibles. Pour évaluer les résultats, les malades servaient eux-mêmes de contrôle, c'est-à-dire que, pour chaque patient, on comparait l'évolution de la maladie pendant le traitement à celle des années précédentes. Parfois, l'évolution des malades traités était comparée à celle de patients suivis dans le même centre et dont les dossiers étaient rétrospectivement analysés (groupe de contrôle historique). Ces protocoles d'essais cliniques étaient critiquables et les résultats difficilement évaluables. Certains d'entre eux, notamment lorsqu'ils concernaient un grand nombre de malades suivis pendant de nombreuses années, eurent cependant le mérite de donner des résultats positifs assez convaincants pour
stimuler la mise en oeuvre de protocoles plus rigoureux et d'étudier diverses substances susceptibles d'influencer favorablement la progression de la maladie. La qualité des études cliniques actuelles et les progrès spectaculaires dans le traitement de la SEP au cours de ces deux dernières années sont le résultat d'un long cheminement de près de trente ans.
Le terme "immunosuppression" effraie souvent les malades et, de fait il n'est pas exact. Dans les essais thérapeutiques, le but n'est pas d'obtenir une paralysie du système immunitaire, mais de le freiner, de réduire l'état d'hyperimmunité associé à l'évolution de la SEP. Les doses utilisées sont inférieures à celles appliquées en cancérologie et dans les greffes d'organes, et le terme plus correct serait donc "immunothérapie".
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