Les termes « repositionnement de médicaments » et « reconversion de médicaments » sont souvent utilisés de manière interchangeable. De manière générale, ils peuvent être définis comme l'utilisation d'un agent thérapeutique dans une indication autre que celle pour laquelle il a été initialement développé. Si les deux termes se retrouvent dans la littérature, plusieurs auteurs font une distinction entre ces deux notions.
En effet, le repositionnement d’un médicament peut être considéré comme « le développement d'un produit pour une indication autre que celle pour laquelle il a été initialement conçu » tandis que sa réaffectation peut être définie comme « l'application de composés connus à de nouvelles indications thérapeutiques ».
Pour comprendre les avantages potentiels de la réaffectation ou du repositionnement des médicaments, il est important de se rappeler que la découverte et le développement de médicaments sont un processus long (de 12 à 15 ans au minimum) et coûteux (à hauteur de plusieurs milliards d'euros). Cette longueur et ce coût sont en partie attribuables à la nécessité d'évaluer en profondeur les profils pharmacocinétique et de sécurité du médicament développé, au moyen d'études précliniques puis cliniques.
Ainsi, l'un des avantages manifestes de la réaffectation ou du repositionnement des médicaments est que le profil de sécurité de la molécule candidate est déjà établi. Il n'est donc pas nécessaire de procéder à l’évaluation préclinique de ses profils de sécurité comme si elle était encore en développement, ce qui minimise considérablement les frais de développement. En outre, la réaffectation ou le repositionnement permet également de « dérisquer » le développement de la molécule puisque le risque d'échec dû à la toxicité est largement réduit. Dans ce contexte, les médicaments déjà commercialisés (voir les deux exemples ci-dessous) sont encore plus avantageux que les médicaments qui ont été développés jusqu'aux essais cliniques, mais n’ont jamais été mis sur le marché, car le développeur a accès aux données post-commercialisation (c.-à-d. « dans la vie réelle »).
La réaffectation ou le repositionnement des médicaments peut s’avérer très utile, en particulier dans les domaines où le taux d'attrition au cours du développement des médicaments est très élevé (et notamment celui des maladies du SNC) ou pour les maladies négligées ou orphelines. Dans le contexte des maladies du SNC, la réaffectation ou le repositionnement des médicaments peut être illustré par deux exemples.
En 2020, la fenfluramine, initialement développée pour la perte de poids puis retirée du marché, a reçu de l’EMA une nouvelle autorisation de mise sur le marché pour le traitement de plusieurs formes d'épilepsie. L'amantadine, d’abord commercialisée comme prophylactique antigrippal, a ensuite été approuvée en 2017 par la FDA pour le traitement de la dyskinésie chez les patients atteints de la maladie de Parkinson et soignés à la lévodopa.
La question qui se pose est donc la suivante : « Existe-t-il des tentatives de recherche pour « réaffecter » des médicaments dans le contexte de la sclérose en plaques ? » Avant de nous pencher sur les tentatives actuelles, nous pouvons mentionner que le diméthylfumarate était déjà vendu pour traiter le psoriasis avant d'être approuvé en 2013 pour la SEP.
Les tentatives actuelles de réaffectation/repositionnement comprennent entre autres :
- Les statines (par exemple l'atorvastatine), développées à l'origine pour réduire le taux de cholestérol, ont été proposées pour le traitement de la SEP, en partie grâce à leurs propriétés anti-inflammatoires et immunomodulatrices. Toutefois, les données obtenues à partir d'essais cliniques contrôlés sont moins convaincantes. En effet, si les statines peuvent avoir des effets bénéfiques sur la composante inflammatoire de la maladie, la réduction du taux de cholestérol peut entraver les processus de remyélinisation.
- La clémastine est un antihistaminique bien connu qui sert à traiter les allergies. Il a été démontré qu'elle induisait la remyélinisation in vitro et dans plusieurs modèles animaux de la SEP. Lors de l'essai clinique de phase II ReBUILD, la clémastine a amélioré les paramètres liés à la myélinisation, ce qui confirme les données précliniques positives. Cependant, dans l'essai TRAP-MS plus récent, le bras de l'étude traité par la clémastine a dû être interrompu en raison d'un accroissement des incapacités chez les patients atteints d'une activité non lésionnelle de la sclérose en plaques.
- La metformine est le principal traitement de première intention du diabète de type II. Plusieurs études précliniques in vitro et in vivo ont montré que la metformine peut avoir un effet positif sur la différenciation des cellules progénitrices d'oligodendrocytes (OPC) ainsi que sur les processus de remyélinisation. Un essai clinique portant sur des patients atteints d'obésité et de SEP a montré que la prise de metformine était associée à une diminution significative du nombre de lésions T2 et de lésions prenant le contraste au gadolinium.
Plusieurs essais cliniques en cours étudient la sécurité et l'efficacité de la metformine dans le traitement de la sclérose en plaques. L'essai clinique MACSiMiSE-BRAIN en cours, entre autres en Belgique, étudie la capacité de la metformine à prévenir l'incapacité clinique chez les patients atteints de SEP progressive en améliorant la remyélinisation.
Plusieurs inhibiteurs de la tyrosine kinase de Bruton (par exemple HERCULES ou EVOLUTION RMS) et l'inhibiteur de phosphodiestérase 4 Ibudilast (par exemple NN102/SPRINT-MS) constituent d’autres tentatives de réaffectation ou de repositionnement.
Si, par le passé, la réaffectation ou le repositionnement étaient principalement dus à la sérendipité, l'amélioration de la connaissance des mécanismes de la SEP et l'utilisation croissante du data mining et de l’IA devraient faciliter les efforts de réaffectation dans le contexte de la SEP.
Prof. Giulio G. Muccioli, Louvain Drug Research Institute, UCLouvain