Des avancées technologiques récentes nous ont enseigné que le système immunitaire est encore plus complexe que nous ne l’avions imaginé. Il y a quinze ans, lorsque j’étais en début de carrière, nous pensions que les lymphocytes T (un type de globule blanc) étaient les principaux responsables de la SEP et qu’ils étaient soit pro-, soit anti-inflammatoires.
Aujourd’hui, nous savons que, même au sein de la population des cellules T, il existe des dizaines, voire des centaines de sous-groupes et d’états. Nous savons également qu’une cellule T peut produire à la fois des molécules pro- et anti-inflammatoires, ce qui rend la situation encore plus complexe. Si l’on tient compte du fait que d’autres types de cellules immunitaires (cellules B, cellules NK, neutrophiles, macrophages, cellules dendritiques, ...) se sont tous avérés être impliqués dans la SEP, on se retrouve face à une jungle impénétrable.
Heureusement, nos outils scientifiques et thérapeutiques ont également évolué. À l’heure actuelle, nous pouvons étudier en profondeur le système immunitaire d’un individu, même au niveau cellulaire. En outre, nous pouvons étudier les interactions entre toutes ces différentes cellules immunitaires et commencer à comprendre leurs modes de communication. Par ailleurs, les succès récents des thérapies ciblées, par exemple à base d’anticorps qui détruisent les cellules B, nous ont beaucoup appris sur l’immunologie de la sclérose en plaques.
Cependant, malgré ces réussites, la plupart d’entre elles ne sont pas efficaces chez tous les patients SEP, et il reste impossible d’enrayer la progression de la maladie. Il peut y avoir plusieurs raisons à cela. Tout d’abord, les thérapies approuvées n’induisent pas la réparation du cerveau endommagé, et avec l’âge, la capacité inhérente du cerveau à s’auto-réparer se dégrade. Par conséquent, les dommages cérébraux ne peuvent plus être réparés.
Ensuite, les chercheurs ont identifié une « progression silencieuse », également appelée « progression indépendante de l’activité de rechute » (PIRA), qui semble être due à un processus de dégradation constante des cellules de la matière grise. Enfin, les thérapies existantes ne rétablissent pas la tolérance immunitaire, ce qui signifie que l’événement déclencheur n’est pas traité.
Depuis quelques années, la thérapie cellulaire attire de plus en plus l’attention des médecins. Par exemple, la thérapie cellulaire CAR-T utilise les propres cellules T du patient, qui sont génétiquement modifiées en laboratoire puis restituées au patient. Ce type de thérapie est désormais autorisé pour le lymphome B et fait l’objet d’études pour plusieurs autres cancers. Dans le domaine de l’auto-immunité, les chercheurs se sont intéressés aux cellules T régulatrices (Treg) comme moyen potentiel de sortir de la jungle immunologique. Les Treg sont intrinsèquement équipées pour atténuer les réponses immunitaires, mais sont moins fonctionnelles chez les patients SEP.
Récemment, on a mis au jour une nouvelle fonction des Treg : elles sont également capables d’induire la réparation des tissus et, mieux encore, la réparation de la myéline dans le cerveau. Cette découverte a suscité un regain d’intérêt pour ces cellules, et plus précisément pour l’idée de les utiliser en thérapie cellulaire. En théorie, l’administration de Treg fonctionnelles à un patient SEP pourrait rétablir sa tolérance immunitaire, stoppant ainsi les attaques cérébrales, et favoriserait la réparation des tissus cérébraux endommagés.
Bien sûr, il faudra attendre longtemps avant que cela n’aboutisse à une thérapie. Tout d’abord, nous devons nous assurer que les Treg que nous restituons à un patient sont fonctionnelles et le restent lorsqu’elles sont dans l’organisme. Par exemple, notre laboratoire a récemment découvert que les Treg changent et deviennent dysfonctionnelles lorsqu’elles traversent la barrière hémato-encéphalique, qui est la porte d’entrée du cerveau.
Il faut aussi tenir compte de la sécurité, de la spécificité et d’autres problèmes. De nombreux chercheurs dans le monde entier étudient actuellement la possibilité de modifier génétiquement les Treg afin de résoudre ces problèmes.
Pour résumer, les avancées technologiques et thérapeutiques récentes ont mis en lumière la nature extrêmement complexe du système immunitaire, et nous n’avons pas fini d’apprendre ce qui ne fonctionne pas chez les patients SEP. Etant donné leur capacité inhérente à restaurer la tolérance immunitaire et à induire la réparation des tissus dans le cerveau, les Treg pourraient tout à fait servir de base à une thérapie de nouvelle génération pour la SEP.
Prof. Bieke Broux, Université de Hasselt