Après plusieurs décennies de croyances erronées concernant le risque d’une grossesse chez les patientes SEP, les données provenant d’études prospectives à large échelle, telles que PRIMS en 1998, ont permis de remettre les pendules à l’heure et de conseiller les patientes sur des bases scientifiques solides.
à l’heure actuelle, il est clairement établi que la grossesse n’est pas déconseillée aux patientes atteintes de SEP.
Le post-partum reste cependant une période critique en termes de recrudescence de l’activité de la maladie qui revient à son niveau pré-conceptionnel et peut donc peut être assez élevé dans les formes très actives avant la grossesse. Il est donc important de couvrir cette période par une thérapeutique efficace et des modalités d’hygiène de vie adéquates, comme des périodes de repos suffisantes.
Ainsi, il est proposé d’aborder précocement avec les patientes SEP le sujet de la planification familiale, principalement au regard du choix du traitement de fond. En effet, certains traitements de fond sont contre-indiqués durant la grossesse et doivent être interrompus, d’où l’importance de discuter du désir de grossesse avec les patientes dès la mise en route du premier traitement et d’en parler régulièrement (au moins à chaque changement de médication). Ces discussions pré-conceptionnelles sont capitales pour aider les patientes à faire des choix réfléchis.
S’il est nécessaire d’arrêter un traitement en cas de grossesse, il s’avère primordial de choisir le moment opportun. En effet, la patiente risque de se retrouver sans traitement durant près d’un an, voire plus. Le choix de couvrir la grossesse par un traitement de fond compatible dépend principalement du risque de poussée durant la grossesse, surtout dans les formes très actives, mais aussi de ce risque majoré dans le post-partum. Or, peu de traitements ont une efficacité immédiate pour couvrir cette période cruciale dès leur reprise.
De manière générale, il est préférable de privilégier la planification d’une grossesse lorsque la SEP est parfaitement stable, idéalement depuis 2 ans, au minimum depuis 12 mois. Dans ce cas, si une suspension du traitement de fond doit être envisagée, il l’est au moins dans une période de stabilité. Pour ce faire, outre la clinique, une évaluation de l’IRM cérébrale dans l’année qui précède la grossesse donnera une indication supplémentaire sur l’absence de nouvelles lésions ou de plaques actives, afin de confirmer l’absence d’activité de la maladie.
Il arrive néanmoins assez souvent que les grossesses ne soient pas planifiées et, dans ce cas il est difficile de respecter les recommandations énumérées plus loin. Pas de panique si cela arrive ! Il est recommandé dans cette situation d’arrêter immédiatement le traitement en cours (sauf si celui-ci a été confirmé comme compatible avec une grossesse) et de se mettre en contact avec son neurologue, mais également avec le gynécologue-obstétricien afin de mettre en place un suivi obstétrical rapproché (par échographies morphologiques répétées, entre autres). Enfin, il est indispensable de communiquer ce début de grossesse sous médication à la pharmacovigilance afin d’assurer son suivi et son issue ou, s’il en existe un, d’en référer au registre de grossesse ouvert spécifiquement pour le traitement en cause.
Maintenir un traitement de fond durant la grossesse doit être évalué en mettant en balance le risque pour le fœtus et le risque pour la mère d’une aggravation de sa SEP.
Dans cet article, nous allons discuter, pour chacun des traitements de fond, de la poursuite ou de l’arrêt éventuel de ceux-ci, principalement chez la femme, en cas de souhait de grossesse (on reste dans la planification !) : le bon moment pour stopper la contraception, l’arrêt ou la poursuite de la médication, la reprise du traitement après l’accouchement, la compatibilité éventuelle avec un allaitement…
Les recommandations préconisées ci-dessous relèvent de l’avis de groupes d’experts – dits « guidelines internationaux », basé à la fois sur les notices médicamenteuses des traitements, la classification de ceux-ci selon le système de la FDA (« Food and Drug Administration »), les caractéristiques moléculaires des médications, les données de vie réelle...
Les traitements dits de « première ligne »
Les interférons Béta et l’acétate de glatiramère
Ces deux types de médications ne nécessitent pas d’interruption du traitement avant la conception et peuvent être poursuivis pendant la grossesse et l’allaitement.
Le diméthyl fumarate
Le traitement par diméthyl fumarate peut être poursuivi jusqu’à ce que la grossesse soit avérée par un test positif. Il est ensuite préconisé de l’interrompre. Il n’est pas recommandé d’utiliser cette médication durant l’allaitement, sa prise doit être post-posée jusqu’à la fin de celui-ci.
Le teriflunomide
Ce traitement est contre-indiqué durant la grossesse, mais un arrêt simple de cette médication n’est pas suffisant étant donné sa persistance dans le sang durant plusieurs semaines (voire mois). Il est donc recommandé de maintenir une contraception efficace après avoir interrompu le teriflunomide et pendant la procédure d’élimination accélérée du produit par administration de cholestyramine 3x4g/j durant 11 jours. Celle-ci permet d’atteindre un taux sanguin résiduel inférieur à 0,02 mg/l et d’arrêter alors la contraception. Ce traitement est contre-indiqué durant l’allaitement.
Le ponesimod, le siponimod et l’ozanimod
Ces médicaments, apparentés au fingolimod, sont contre-indiqués durant la grossesse et ne sont pas compatibles avec l’allaitement. La contraception doit être maintenue pendant 7 jours après la dernière prise de ponesimod, 10 jours après la dernière prise de siponimod et durant 3 mois après l’arrêt de l’ozanimod - selon les durées de vie différentes de chacun de ces produits. Le risque de rebond n’étant pas formellement identifié comme pour le fingolimod, le remplacement de ce traitement par un autre en vue d’une grossesse est à discuter au cas par cas avec le neurologue traitant, en fonction, entre autres, de l’activité de la maladie au cours des 24 derniers mois.
Les traitements dits de « seconde ligne »
Le fingolimod
Le fingolimod est contre-indiqué durant la grossesse. De plus, il est recommandé de maintenir une contraception efficace jusqu’à 2 mois après l’arrêt du traitement. Enfin, étant donné le risque de « rebond » de l’activité inflammatoire de la maladie (sous forme de poussée sévère ou de majoration de la charge lésionnelle), il est fortement recommandé d’effectuer un relais vers un autre traitement de fond compatible avec la grossesse (à discuter avec le neurologue traitant). L’allaitement est également contre-indiqué sous cette médication.
Le natalizumab
Le traitement par natalizumab peut être poursuivi jusqu’à ce que la grossesse soit avérée. Ensuite, au vu du risque de récidive de poussées à l’arrêt du traitement (surtout en cas de SEP très active avant son instauration), il faut parfois le poursuivre durant les 2 premiers trimestres de la grossesse (jusqu’à 32-34 semaines) et le reprendre dès que possible après la naissance pour limiter l’interruption du traitement à 8-12 semaines. La poursuite ou l’instauration du natalizumab durant le 3e trimestre doit être discutée en fonction de la sévérité de la maladie (forte poussée récente par exemple) et mise en balance avec les effets secondaires hématologiques potentiels pour le fœtus.
Il est conseillé d’espacer les doses (intervalle de 6 semaines entre les administrations, au lieu de 4 semaines), afin de réduire l’exposition médicamenteuse.
L’allaitement peut être envisagé en cas de traitement par natalizumab, car les concentrations de ce produit dans le lait sont très faibles et, de plus, il sera en grande partie détruit dans le tractus gastro-intestinal de l’enfant.
L’ocrelizumab
Il est recommandé de ne pas utiliser l’ocrelizumab durant la grossesse. Un délai d’au moins 2 mois entre la dernière perfusion intraveineuse et l’arrêt de la contraception est conseillé par les experts français, voire un arrêt immédiat de la contraception après la dernière perfusion selon les experts anglais. En effet, il n’y a pas de transfert transplacentaire significatif de cet anticorps durant le premier trimestre de la grossesse.
Si la patiente n’est pas enceinte 6 mois après son dernier traitement, un allongement de l’intervalle de dose (de 6 à 9-12 mois) peut être envisagé, de manière à offrir une plus grande période de conception possible. L’administration exceptionnelle de ce produit durant la grossesse est envisageable si le contrôle de la maladie le nécessite et qu’aucune autre alternative satisfaisante ne peut être envisagée.
La reprise du traitement durant l’allaitement peut être réalisée car, comme pour les autres anticorps monoclonaux, la transmission par le lait maternel est très faible, comme pour les autres anticorps monoclonaux.
L’ofatumumab
Son administration n’est pas recommandée durant la grossesse et la contraception est nécessaire jusqu’à l’arrêt du traitement.
Son administration durant l’allaitement est autorisée car, au vu de sa grande taille moléculaire, le passage dans le lait est fortement réduit, et ce type de molécule se trouve partiellement détruite dans le tractus gastro-intestinal de l’enfant.
La cladribine
La cladribine est contre-indiquée durant la grossesse. Il est recommandé de maintenir une contraception efficace jusqu’à 6 mois après la dernière prise médicamenteuse. Cette recommandation est également d’application chez la patiente SEP qui souhaite procréer. Ce traitement de reconstitution immunitaire offre toutefois une fenêtre thérapeutique facile pour envisager la conception, étant donné son schéma d’administration intermittent réparti sur 5 semaines/an durant 2 années consécutives.
L’allaitement est contre-indiqué chez les patientes traitées par cladribine, et ce durant la prise du médicament et jusqu’à 1 semaine après la dernière prise.
L’alemtuzumab
Il est recommandé de ne pas utiliser l’alemtuzumab pendant la grossesse. Toutefois, ce traitement étant réservé à des patientes souffrant d’une maladie à très haute activité, on peut imaginer que la question de planifier une grossesse n’est pas à l’ordre du jour au moment du choix de ce traitement. Si cependant tel était le cas, son schéma de traitement cyclique (5j de traitement IV la première année, puis 3j de traitement IV la seconde année) autorise facilement de trouver une fenêtre d’opportunité pour débuter la conception : une contraception efficace est recommandée jusqu’à 4 mois après la dernière administration du traitement, puis peut être interrompue en cas de souhait de grossesse. Une évaluation mensuelle de la fonction thyroïdienne est recommandée si le dernier traitement par alemtuzumab remonte à moins de 4 ans, afin de dépister les dysthyroïdies auto-immunes fréquemment rapportées comme effets secondaires à moyen et long terme de ce traitement.
Il est contre-indiqué également durant l’allaitement, et ce jusqu’à 4 mois après son administration selon l’agence européenne du médicament. Mais, suivant le même principe que les autres anticorps monoclonaux concernant le passage dans le lait maternel et la destruction dans le tractus gastro-intestinal infantile, il pourrait probablement être utilisé sans délai.
Malgré les « guidelines » proposés dans la littérature scientifique depuis quelques années pour aider les neurologues dans leurs décisions, nombre d’entre eux restent réticents à poursuivre un traitement de fond durant la grossesse et la période d’allaitement, et la pratique clinique en la matière est très hétérogène.
L’objectif de ce résumé est de fournir un aperçu le plus clair possible de la gestion des traitements de fond de la SEP en cas de grossesse et d’allaitement. Ceci reste à mettre bien entendu en parallèle avec la sévérité de la maladie et le souhait des patientes (prise en charge personnalisée).
Enfin, ces recommandations ne sont pas figées et sont susceptibles d’évoluer avec le temps en fonction des données de vie réelles récoltées au niveau mondial dans les registres de grossesse pour chacun des produits (grossesse planifiée ou non avec exposition permanente ou temporaire à l’un des traitements). D’où l’importance de répertorier toute grossesse survenue après une exposition aux traitements de fond dans les registres de pharmacovigilance ou dans les études observationnelles.
Prof. Brigitte Capron, CHU Marie Curie, Charleroi
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