Lies : J’ai étudié les sciences biomédicales à la KULeuven. Dès le secondaire, j’ai été très attirée par la biologie, et surtout le corps humain, d’où mon choix. Au cours de ma formation, je me suis passionnée pour la neurologie et la génétique. A la suite d’un stage avec les Prof. A. Goris et B. Dubois, j’ai été totalement conquise par la recherche sur la SEP. J’ai donc été ravie d’avoir été sélectionnée pour la deuxième bourse Charcot.
Prof. An Goris : Je suis très reconnaissante à la Fondation Charcot de son soutien continu à notre groupe de recherche.
Les bourses Charcot sont particulièrement importantes, car elles nous permettent de travailler sur la SEP avec de jeunes chercheurs pendant quatre ans. Cela permet à des idées originales et nouvelles de faire leur entrée dans une équipe déjà existante. En même temps, nous offrons à ces jeunes chercheurs le cadre nécessaire pour les former à la science, et en particulier aux bonnes pratiques qui garantissent des résultats fiables et de qualité.
Lies : On peut se représenter notre matériel génétique comme un livre composé de plus de six milliards de caractères. Le matériel génétique de tous les individus est largement identique, à plus de 99,9 %. La différence entre vous et moi n’est déterminée que par une lettre sur mille. Ce sont ces petites différences ou variations génétiques qui contribuent aux nombreuses caractéristiques qui nous différencient les uns des autres, par exemple la taille, la couleur des cheveux et des yeux, un don pour le sport ou la musique. C’est également ce facteur qui détermine une tendance plus ou moins grande à contracter une maladie telle que la sclérose en plaques.
Prof. An Goris : Notre groupe de recherche est membre de l’International MS Genetics Consortium (IMSGC) – dont je suis actuellement coordinatrice une collaboration de plus de 25 groupes de recherche dans le monde, de l’Australie aux Etats-Unis. Avec ce groupe, nous avons identifié plus de 200 variantes de risque génétique qui augmentent la susceptibilité à la SEP. Ces variantes de risque sont transmises par les parents à leurs enfants. Cela explique en partie pourquoi environ 15 personnes sur 100 atteintes de la SEP ont un parent atteint de cette maladie.
Lies : Le titre de ma recherche doctorale est « Somatic Mosaics in MS : Detection and Insight into the Disease ». Notre corps est constitué de milliers de milliards de cellules. D’après les manuels actuellement utilisés, chacune des cellules de notre corps contient exactement le même matériel génétique. Il se trouve que mes recherches sur les dernières technologies jettent un éclairage différent. Nous constatons qu’il existe non seulement des variations entre personnes, mais aussi entre les cellules d’une même
personne. Le nombre des variations génétiques entre les cellules de notre corps augmente avec l’âge. Ces variations ne sont pas héritées de nos parents. Elles peuvent être causées par des facteurs externes, comme la lumière du soleil et le tabac, mais aussi par des facteurs internes, par exemple au moment de la division cellulaire, lorsque le matériel génétique est copié. Nous sommes donc tous des mosaïques de cellules avec un matériel génétique légèrement différent. Nous avons pu attirer l’attention de nos collègues scientifiques internationaux sur cette question dans un article de synthèse intitulé « Somatic Variants : New Kids on the Block in Immunogenetics », publié dans la revue Trends in Genetics. Cela permet à d’autres chercheurs de valider nos résultats et de s’en inspirer. Et nous sommes loin d’être les seuls à avoir découvert l’ampleur des mosaïques génétiques. Par exemple, des chercheurs islandais de de CODE genetics ont découvert que même les vrais jumeaux ne sont pas génétiquement identiques comme on le supposait jusqu’à présent. Les deux moitiés de jumeaux identiques présentent également de petites variations qui apparaissent juste après la fécondation, au cours du développement embryonnaire, et dont le nombre augmente au cours de sa vie, à mesure que les deux jumeaux grandissent. Les jumeaux sont plus faciles à étudier, mais le fait est que nous sommes tous et toutes des mosaïques génétiques. Il va donc falloir réécrire les manuels d’enseignement !
Prof. Bénédicte Dubois : Et que signifient ces mosaïques pour la SEP ? Cela, nous ne pouvons l’étudier que grâce aux nombreux patients SEP et à leurs conjoints, qui sont disposés à participer à la recherche scientifique.
Lies : Lorsque quelqu’un accepte de participer à une étude scientifique, on prélève un échantillon de son sang. Au laboratoire, nous trions les cellules sanguines. Au cours de notre étude, nous avons examiné les cellules du système immunitaire qui jouent un rôle important dans la SEP, à savoir les lymphocytes T et les lymphocytes B. Nous en extrayons le matériel génétique, l’ADN, que nous lisons à l’aide de nouvelles technologies. Nous comparons ensuite un grand groupe de personnes atteintes de SEP avec un grand groupe de sujets témoins en bonne santé. La mise au point de cette méthode a été le défi majeur de mes recherches, car nous devons être en mesure de distinguer de manière fiable les variations biologiques réelles des erreurs techniques. Et ces erreurs, il y en a, car les technologies de lecture de l’ADN ne sont pas encore parfaites. La bio-informatique a donc joué un grand rôle dans ce projet.
Prof. An Goris : Nous sommes reconnaissants à la Fondation Charcot d’avoir rendu possible ce projet très innovant. Lorsque nous avons commencé cette étude, nous espérions trouver une ou tout au plus quelques-unes de ces variations génétiques nouvelles chez certains des participants à l’étude. A notre grande surprise, nous avons constaté que la grande majorité des personnes atteintes de SEP sont porteuses de telles variations, et même que c’est également le cas chez les sujets témoins sains. Ces résultats de l’étude de Lies ont depuis été confirmés par des collègues finlandais.
Lies : Les variations génétiques nouvelles peuvent modifier les protéines et donc les cellules, par exemple en les faisant se diviser plus rapidement ou en les rendant plus pro-inflammatoires. En comparant mes résultats avec ceux de collègues internationaux, nous pouvons constater qu’il existe des « points chauds » où les nouvelles variations sont plus fréquentes. Nous comparons maintenant ces points chauds dans des groupes plus importants de patients SEP et de sujets témoins sains. Nous pensons que si ces points chauds augmentent la susceptibilité à la SEP, ils seront plus fréquents chez les personnes atteintes de SEP que chez les sujets témoins.
Prof. An Goris : La découverte que nous sommes tous des mosaïques génétiques, ainsi que de l’ampleur de ce phénomène, sont très importants. Ainsi, en plus des variations génétiques
transmises par les parents à leurs enfants, nous devons maintenant étudier plus en profondeur les variations génétiques nouvellement créées entre les cellules afin de déterminer leur rôle dans la SEP. Nous pensons qu’il est essentiel d’inclure ces recherches dans les futures recherches génétiques, notamment avec l’International MS Genetics Consortium. Grâce à des technologies de lecture de l’ADN plus récentes et encore plus performantes, nous pourrons poursuivre ces recherches à plus grande échelle.
Il faut des années pour développer un nouveau traitement.
Les connaissances scientifiques fiables, issues notamment de la
recherche génétique, rendent possible une accélération de ce processus.
Prof. Bénédicte Dubois : La recherche scientifique, dans le cadre de laquelle différentes études s’appuient les unes sur les autres au fil du temps, est importante non seulement pour mieux comprendre la maladie, mais aussi pour obtenir des résultats concrets pour les patients SEP. Normalement, il faut des années pour développer un nouveau traitement. Les connaissances scientifiques fiables, issues notamment de la recherche génétique, rendent possible une accélération de ce processus.
Prof. An Goris : On propose comme nouveaux traitements possibles de nombreuses substances ou molécules. Seule une petite partie d’entre elles réussit à passer toutes les études cliniques nécessaires à l’élaboration d’un médicament efficace. Beaucoup sont écartées en cours de route parce qu’elles ne semblent pas assez efficaces ou assez sûres. La recherche génétique peut apporter des bases supplémentaires pour la sélection des molécules les plus prometteuses. Si la variation génétique d’une molécule est liée à une maladie, cette molécule est un excellent candidat au traitement de la maladie. Il a été démontré à plusieurs reprises qu’en matière de recherche génétique, le soutien à une molécule double les chances que cette molécule passe tous les essais cliniques et devienne un médicament efficace. Les entreprises pharmaceutiques l’ont bien compris : elles s’appuient désormais largement sur la recherche génétique pour trouver de nouveaux traitements. Il est donc extrêmement important d’engager de jeunes chercheurs talentueux et bien formés tels que les boursiers Charcot, tant dans les universités que dans les entreprises pharmaceutiques !