Les cellules immunitaires dans la SEP : déséquilibre entre les cellules pro-inflammatoires et les cellules régulatrices ?
Dérèglement de la surveillance immunitaire du système nerveux central
Afin d’éviter l’intrusion d’agents pathogènes, les lymphocytes, cellules du système immunitaire, patrouillent en permanence entre les organes via les vaisseaux sanguins. Le SNC a longtemps été considéré comme un site immunologique privilégié grâce à la présence de la barrière hémato-encéphalique qui limite strictement le passage des lymphocytes du sang vers le SNC. Il est maintenant reconnu que la séparation du SNC est incomplète et que la surveillance immunitaire opère continuellement. Lors d’une poussée de SEP, des lymphocytes activés pénètrent dans le SNC où ils initient un phénomène inflammatoire local. La sécrétion de médiateurs de l’inflammation, les cytokines et les chemokines, induit une augmentation de la perméabilité de la barrière hémato-encéphalique et facilite le recrutement d’autres cellules inflammatoires dans le SNC. Ce phénomène, impliquant différents types de cellules, aboutit finalement à la destruction de la gaine de myéline entourant les axones.
Différentes population de cellules immunitaires sont impliquées dans la formation des plaques
Les lymphocytes sont divisés en deux types principaux: les lymphocytes B et les lymphocytes T. Chaque type de lymphocytes est ensuite classé en sous-populations selon les fonctions qu’elles assurent et les protéines qu’elles produisent. Les lymphocytes B sont responsables de la sécrétion d’anticorps ou immunoglobulines. Lors de l’examen du liquide céphalo-rachidien, la présence d’anticorps (bandes oligoclonales) est une caractéristique principale de la SEP et témoigne d’un dérèglement du système immunitaire. De plus, dans certaines lésions du SNC, les anticorps se lient à la gaine de myéline entourant les axones et induisent sa dégradation.
Parmi les lymphocytes T, les cellules produisant l’interleukine-17 (IL-17) sont particulièrement impliquées dans la SEP. Ces cellules, appelées Th17, sont également incriminées dans diverses pathologies auto-immunes telles que la maladie de Crohn, le psoriasis ou la polyarthrite rhumatoïde. Les lymphocytes Th17 exercent leur fonction pathogène par l’intermédiaire des protéines qu’ils sécrètent dans le milieu extracellulaire. La fréquence de ces cellules augmente dans le sang des patients atteints de SEP. La présence des lymphocytes Th17 dans les lésions de démyélinisation a été démontrée. En effet, lors d’une poussée de SEP, les lymphocytes Th17 expriment à leur surface des molécules d’adhérence leur permettant de se fixer puis de traverser la barrière hémato-encéphalique. Au sein du SNC, les lymphocytes Th17 sécrètent un large spectre de molécules capables d’amplifier le phénomène inflammatoire qui cause les lésions.
Les lymphocytes T cytotoxiques participent également à la pathologie. Ils ont la particularité de pouvoir induire la lyse d’une cellule cible. Ces cellules sont présentes en grand nombre dans les lésions de SEP où elles peuvent engendrer des dommages aux axones et aux oligodendrocytes, cellules responsables de la formation de la gaine de myéline.
Les lymphocytes T régulateurs contrôlent les réactions immunitaires
En conditions normales, l’ensemble des réactions immunitaires est contrôlé par une population de cellules spécialisées appelées lymphocytes T régulateurs (Treg). Le rôle des lymphocytes Treg est d’empêcher que le système immunitaire n’attaque les cellules de l’organisme. Les lymphocytes Treg exercent leur fonction suppressive par l’intermédiaire de plusieurs mécanismes. Ils peuvent notamment influencer les cellules effectrices pro-inflammatoires par contact direct, par la sécrétion de cytokines antiinflammatoires ou encore grâce aux protéines exprimées à leur surface. Parmi ces protéines de surface, la molécule CD39 est une enzyme dont la fonction est de dégrader l’ATP (adénosine triphosphate) extracellulaire. Ceci empêche la transmission de multiples signaux pro-inflammatoires par l’ATP. Chez les patients souffrant de SEP, bien que la fréquence des lymphocytes Treg ne soit pas modifiée, il semble que leur fonction suppressive et, par conséquent, leur capacité à réguler une réponse pro-inflammatoire soit altérée.
Le dérèglement du système immunitaire à l’origine de la SEP peut donc être lié à un défaut de l’équilibre entre les réactions pro-inflammatoires (notamment Th17) et les mécanismes de contrôle (Treg) pouvant donner lieu à une poussée clinique.
Les glucocorticoïdes inhibent les réactions inflammatoires
Lors de la survenue d’une poussée, une cure de glucocorticoïdes (Solumédrol) peut être envisagée. Classiquement, le traitement consiste en une injection intraveineuse d’une forte dose de méthylprednisolone par jour durant 5 jours. L’objectif d’une cure de glucocorticoïdes est de réduire l’intensité et la durée des symptômes d’une poussée de SEP. A ce jour, le traitement de la poussée ne permet pas d’en réduire les séquelles à long terme. Les glucocorticoïdes sont utilisés depuis la deuxième moitié du XXème siècle pour traiter les poussées de SEP. A l’époque, leur mécanisme d’action était mal compris. Depuis, de nombreuses études ont été menées afin de comprendre leurs effets. Le traitement par glucocorticoïdes permet entre autre de diminuer le nombre de lymphocytes Th17 dans le sang. De plus, il permet de diminuer la production de la cytokine pro-inflammatoire IL-17 par ces cellules. Il peut également favoriser les fonctions suppressives des Treg. Par exemple, nous avons montré qu’une cure de glucocorticoïdes engendre une augmentation de la fréquence des lymphocytes Treg qui expriment la protéine CD39. Cette élévation de CD39 induit une augmentation de la dégradation de l’ATP dans le milieu extracellulaire et inhibe ainsi la réaction inflammatoire.
Ensemble, les effets des glucocorticoïdes permettent donc de diminuer le contexte inflammatoire observé lors des poussées en inhibant les voies pro-inflammatoires et en favorisant les réactions régulatrices.
Favoriser les mécanismes régulateurs pour traiter la SEP ?
Depuis l’arrivée du premier traitement au long cours de la SEP, le nombre de traitements disponibles ne cesse d’augmenter. De nouvelles cibles sont découvertes et de nouvelles stratégies thérapeutiques sont mises au point. La recherche médicale a pour but de comprendre la balance régulant les mécanismes pro- et anti-inflammatoires afin de pouvoir in fine moduler les réactions immunitaires et restaurer l’équilibre. Les traitements existants, comme l’interféron-beta ou le fingolimod, ont pour but premier de diminuer les réactions pro-inflammatoires. Favoriser l’immunorégulation en soutenant le nombre et la fonction des lymphocytes Treg constitue une perspective d’avenir dans le traitement de la maladie. L’injection de cellules ou de protéines régulatrices, comme par exemple CD39, pourrait constituer une perspective thérapeutique encore jamais explorée chez les patients atteints de SEP.
Nathalie Muls, Université catholique de Louvain