Le Dr Dachy, neurologue et Mme Christa Expeel, MS Nurse, nous font part de leur expérience.
Il y a trois ans, au sein du CHU Brugmann à Bruxelles, nous avons développé une consultation pluridisciplinaire pour les patients atteints de sclérose en plaques (SEP) ou d’affections neuroimmunologiques proches. Un neurologue expert SEP, une infirmière ressource, deux kinésithérapeutes, une assistante sociale et une psychologue tentent d’optimiser la prise en charge globale du patient, en l’insérant dans un trajet de soins adéquat et personnalisé.
Avec ce léger recul, nous nous sommes aperçus que les patients âgés de 18 à 30 ans se distinguent souvent des patients plus âgés par leurs attitudes, leurs comportements vis-à-vis de leur SEP, de son traitement et de son suivi.
Ils sont quasi tous sous traitement de fond, reçoivent souvent une médication de première ligne par voie orale, mais on note aussi des traitements d’emblée de deuxième ligne dans des formes très actives, voire agressives. Ils proviennent souvent de familles allochtones, étant la deuxième, voire la troisième génération née en Belgique.
L’établissement du diagnostic et sa communication aux jeunes patients nous semblent avoir des caractéristiques propres.
Les jeunes sont très impatients de connaitre la cause de leurs symptômes, qu’ils veulent à tout prix voir disparaitre.Certains nous parlent d’emblée de SEP, parce que l’information leur a été donnée formellement lors d’une consultation extérieure ou suggérée par leur entourage, leurs recherches sur internet, la consultation de forums de discussion.
Le délai diagnostique peut leur paraitre interminable, par exemple le nécessaire critère de dissémination dans le temps passe mal, bien que la remise à l’honneur de la ponction lombaire permette de résoudre parfois ce problème. Cette dernière est plus difficile à vivre pour les jeunes car elle correspond souvent à leur première hospitalisation, avec de plus fréquents syndromes post-ponction lombaire.
L’annonce du diagnostic induit différentes réactions. Certains ne réagissent pas immédiatement et une barrière linguistique peut favoriser une mauvaise compréhension des informations reçues. Parfois pris de panique, ils n’arrivent plus à réfléchir, n’admettent pas la vérité et la rejettent. Entendre qu’ils ont une maladie chronique, qu’ils ne guériront pas, qu’ils devront prendre un traitement au long cours leur est insoutenable, ils ont peur, craignent la chaise roulante. Ils ne comprennent pas pourquoi cela leur arrive, n’admettent pas qu’ils vont faire leur vie avec la maladie. Nous leur proposons aussi un soutien psychologique, bien que cette approche ne les attire pas toujours.
Le choix du traitement est un moment crucial, pouvant se dérouler en plusieurs étapes sans s’éterniser cependant. Ils souhaitent un traitement rapide et ‘magique’, commode à prendre. Il faut faire passer le message qu’un traitement de fond est une couverture pour l’avenir et qu’il ne va pas faire disparaître les symptômes résiduels ou l’éventuel handicap déjà présent.
C’est aussi le moment d’insister sur une bonne hygiène de vie et alimentaire, de pratiquer du sport ou des exercices physiques sous la supervision de kinésithérapeutes, de réduire et de préférence stopper l’utilisation du tabac, du cannabis ou la consommation d’alcool.
Nous les invitons à être accompagnés d’une personne de confiance – famille ou entourage proche, afin de leur apporter le soutien nécessaire. Il n’est pas exceptionnel qu’il faille répondre plus à l’angoisse des parents qu’à celle du patient lui-même, en intégrant le niveau d’éducation, les pratiques culturelles et les barrières linguistiques freinant une approche « rationnelle » de l’affection telle que nous la concevons. Certains jeunes préfèrent venir seuls car ils ne souhaitent pas que leur entourage soit au courant et ils se sentent gênés d’être malades. Ils ne veulent pas inquiéter leurs parents qui, d’après eux, ne comprendront pas la situation. Aborder des questions plus intimes comme le désir d’une grossesse, l’établissement d’une relation amoureuse peut nécessiter un colloque singulier.
Nous avons pris l’habitude de fixer les rendez-vous (bilans, consultation médicale, imagerie, …) en partenariat avec eux et selon leurs disponibilités.
Quand ils se sentent mieux, les jeunes patients ont envie de suspendre leur traitement. Les vacances sont aussi propices à cette interruption, parfois par insouciance ou pour dissimuler à l’entourage la prise d’un médicament et donc la maladie. En cas de poussée, ils ont tendance à consulter impulsivement les urgences, avec parfois à la clé une hospitalisation dans un contexte anxieux ou de panique.
Leur imprévisibilité est importante : nous devons leur consacrer plus de temps, être plus disponible pour in fine ne plus les revoir pendant un certain temps ou en revanche les recevoir en urgence, suite à des messages du type « j’ai perdu mon sac contenant les médicaments », « je ne retrouve pas les ordonnances ». Encourager la poursuite des études, délivrer à bon escient des certificats, comprendre leur situation sans prendre la maladie comme argument pour se soustraire à toute obligation nous met dans une position d’arbitre.
A nous d’être présents à ce moment sans les assister à l’extrême mais pour les rendre partenaires à part entière de la prise en charge de leur maladie.
En adaptant notre approche aux spécificités de nos jeunes patients, la relation devient souvent sincère, fiable et fidèle. Après tout, la maladie ne les oblige-t-elle pas à entrer plus vite dans le monde des adultes « mûrs », avec les nécessaires adaptations, compromis et négociations qu’il faut faire avec soi et avec les autres, en sachant qu’il y aura des embûches, des entraves au parcours initialement prévu ? A nous d’être présents à ce moment sans les assister à l’extrême mais pour les rendre partenaires à part entière de la prise en charge de leur maladie.